Annie Ernaux est aujourd'hui, de façon incontestable, l'un des auteurs français les plus (re)connus dans le paysage littéraire contemporain, son oeuvre est traduite dans de nombreux pays et couronnée par de multiples prix (récemment encore le Prix Prince Pierre de Monaco). Ce volume qui lui est consacré permettra tout à la fois de satisfaire les lecteurs les plus érudits mais également de répondre à la curiosité littéraire d'un public de plus en plus large et fidèle. Mêlant regards critiques et interventions plus personnelles d'écrivains ou d'artistes, le Cahier explore autant les enjeux sociologiques, historiques et parfois psychanalytiques de l'oeuvre d'Annie Ernaux que sa sensibilité intime. La multitude des intervenants, issus de milieux aussi divers que le cinéma, le théâtre, la littérature, la chanson et la recherche littéraire, vise à mettre en valeur les nombreuses facettes du travail d'Annie Ernaux. Certaines parties mettent l'accent sur des ouvrages précis, L'Événement, Les Années et Mémoire de fille, quand d'autres abordent les thématiques qui traversent toute l'oeuvre ; écriture, voyages, engagement politique,... De nombreux extraits inédits du journal d'écriture d'Annie Ernaux témoignent par ailleurs du regard sans cesse éveillé que l'écrivaine pose sur le monde.
Son enfance, sa mémoire, sont la matière même de ses livres. Pourtant, c'est seulement en 2012 qu'Annie Ernaux retourne à Yvetot sur invitation de la ville de Normandie qui l'a vue grandir. Elle vient y donner une conférence sur son travail qui y est intimement lié. Ce retour en tant qu'écrivaine est un véritable événement littéraire et c'est cet événement qui est retranscrit ici. À la suite de ce texte lu par Dominique Blanc, Annie Ernaux se remémore, dans un entretien inédit, des moments de son enfance et de sa jeunesse à Yvetot à travers des photographies qu'elle a choisi de commenter.
« Les livres ont donc constitué très tôt le territoire de mon imaginaire, de ma projection dans des histoires et des mondes que je ne connaissais pas. Plus tard, j'y ai trouvé le mode d'emploi de la vie, un mode d'emploi auquel j'accordais beaucoup plus de confiance qu'au discours scolaire ou au discours de mes parents.
J'étais encline à penser que la réalité et la vérité se trouvaient dans les livres, dans la littérature. » A.E
«Souvent, depuis le début de notre relation, j'étais restée fascinée en découvrant au réveil la table non desservie du dîner, les chaises déplacées, nos vêtements emmêlés, jetés par terre n'importe où la veille au soir en faisant l'amour. C'était un paysage à chaque fois différent.
Je me demande pourquoi l'idée de le photographier ne m'est pas venue plus tôt. Ni pourquoi je n'ai jamais proposé cela à aucun homme. Peut-être considérais-je qu'il y avait là quelque chose de vaguement honteux, ou d'indigne. En un sens, il était moins obscène pour moi de photographier le sexe de M.
Peut-être aussi ne pouvais-je le faire qu'avec cet homme-là et qu'à cette période de ma vie.»
Annie Ernaux.
L'écrivain retraverse son oeuvre à la lumière de la question des lieux. A travers ces entretiens se révèle la cohérence de son oeuvre, depuis son premier roman«Les armoires du vide»jusqu'à«Les années»et«L'autre fille».
« Tout au long de cet entretien avec Frédéric-Yves Jeannet, je n'ai eu comme souci que la sincérité et la précision, celle-ci se découvrant plus difficile à obtenir que celle-là. Il n'est pas aisé de rendre compte, sans l'unifier ni la réduire à quelques principes, d'une pratique d'écriture commencée il y a trente ans. D'en laisser percevoir les inévitables contradictions. D'apporter des détails concrets sur ce qui se dérobe le plus clair du temps à la conscience. Ce qui assemble les phrases de mes livres, en choisit les mots, c'est mon désir, et je ne peux l'apprendre aux autres puisqu'il m'échappe à moi-même. Mais il me semble pouvoir indiquer la visée de mes textes, donner mes « raisons » d'écrire. Qu'elles relèvent de l'imaginaire n'enlève rien au fait qu'elles jouent réellement sur la forme même de l'écriture. J'espère simplement avoir réussi à exprimer quelques vérités individuelles et provisoires - révisables assurément par d'autres - sur ce qui occupe beaucoup ma vie. » Annie Ernaux