Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d'un cabinet d'avocats, le couple se met à la recherche d'une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l'affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu'au drame.
À travers la description précise du jeune couple et celle du personnage fascinant et mystérieux de la nounou, c'est notre époque qui se révèle, avec sa conception de l'amour et de l'éducation, des rapports de domination et d'argent, des préjugés de classe ou de culture. Le style sec et tranchant de Leïla Slimani, où percent des éclats de poésie ténébreuse, instaure dès les premières pages un suspense envoûtant.
«Ne t'endors pas, ne te repose pas, ne ferme pas les yeux, ce n'est pas terminé. Ils te cherchent. Tu entends ce bruit, on dirait le roulement des barriques vides, on dirait le tonnerre en janvier mais tu te trompes si tu crois que c'est ça. Écoute mon pays qui gronde, écoute la colère qui rampe et qui rappe jusqu'à nous. Tu entends cette musique, tu sens la braise contre ton visage balafré? Ils viennent pour toi.» Tropique de la violence est une plongée dans l'enfer d'une jeunesse livrée à elle-même sur l'île française de Mayotte, dans l'océan Indien. Dans ce pays magnifique, sauvage et au bord du chaos, cinq destins vont se croiser et nous révéler la violence de leur quotidien.
Ute von Ebert, dernière héritière d'un puissant empire industriel, habite à Erlingen, fief cossu de la haute bourgeoisie allemande. Sa fille Hannah, 26 ans, vit à Londres. Dans des lettres au ton très libre et souvent sarcastique, Ute raconte à sa fille la vie dans Erlingen assiégée par un ennemi dont on ignore à peu près tout et qu'elle appelle « les Serviteurs », car ils ont décidé de faire de la soumission à Dieu la loi unique de l'humanité. La population attend fiévreusement un train qui doit l'évacuer. Mais le train du salut n'arrive pas.
Et si cette histoire était le fruit d'un esprit fantasque et inquiet, qui observe les ravages de la propagation d'une foi sectaire dans les démocraties fatiguées ?
Comme dans 2084, Boualem Sansal décrit la mainmise de l'islamisme sur les zones fragiles de nos sociétés, favorisée par la lâcheté ou l'aveuglement des dirigeants.
Par ce récit autobiographique, Scholastique Mukasonga retrace les difficultés qu'elle a rencontrées pour obtenir son diplôme d'assistante sociale : son défi n'est nullement d'ordre intellectuel, mais il relève de son état d'exilée qui lui a valu de constantes rebuffades. Tout au long de son parcours, elle fait preuve d'une obstination remarquable.
En 1973, obligée de quitter Kigali pour le Burundi, la narratrice a la chance d'être admise dans une école qui, enfin, lui décerne le diplôme dont elle rêvait. Cependant, l'expérience de ces années peu a à voir avec le bonheur et la liberté passés : elle est confrontée à la dure épreuve de l'intégration que son entourage, pas plus que les événements, ne facilitent pas. Mais les vraies difficultés surgissent après cette réussite : sans la nationalité burundaise, la narratrice ne peut pas se faire attribuer de travail. Grâce à des bonnes volontés individuelles, elle trouve tout de même l'occasion d'exercer sa profession pendant cinq ans dans les collines de la région de Gitega. C'est là qu'elle rencontre son futur mari, coopérant français pour le Ministère de la Culture. La narratrice arrête alors de travailler pour élever ses deux enfants, puis suit son mari à Djibouti, finalement en France - autant de lieux où, pour des raisons toujours administratives, elle ne pourra travailler véritablement. C'est seulement en 1993 qu'elle parvient à reprendre ses études, à l'orée de ses quarante ans, et à obtenir, une deuxième fois, le si précieux diplôme.
Le récit est centré sur la condition féminine en Afrique et, surtout, sur le thème de l'exil : en tant que Tutsi, la narratrice a toujours été étrangère dans son pays, au Burundi elle est une exilée et, partout ailleurs, au fond, elle sera une apatride. Néanmoins, elle se bat avec une pugnacité rare. La quête et le triomphe individuel aussi font l'objet d'un questionnement : suite au massacre de son peuple, la narratrice s'interroge sur la vanité des combats individuels face à l'Histoire.
La punition raconte l'arbitraire, celui des 19 mois de détention, sous le règne de Hassan II, de 94 étudiants, à la suite de manifestations pacifiques dans les rues des grandes villes du Maroc en 1965. Envoyés dans des casernes sous couvert de service militaire, ces jeunes gens se retrouvèrent condamnés à une peine de détention illimitée, encadrés par des gradés dévoués au général Oufkir qui leur firent subir vexations, mauvais traitements, manoeuvres militaires improvisées, sous les prétextes les plus absurdes. Jusqu'à ce que la préparation d'un coup d'État ne précipite leur libération, sans explication. Quelques-uns y perdirent la vie, dans l'indifférence générale, d'autres sombrèrent dans la folie. Le narrateur de La punition était l'un d'eux, il raconte au plus près ce que furent ces jours qui marquèrent à jamais ses vingt ans, ébranlèrent sa conscience et le firent secrètement naître écrivain.
«Fraîchement restauré, le foyer de demandeurs d'asile à Rennes me fait penser à mon lycée. Une grande porte vitrée, d'interminables couloirs, sauf qu'ici au lieu des salles de classe on a des chambres pour les réfugiés. Dans le hall central il y a une carte du monde avec les petits drapeaux du pays des résidents. La misère du monde s'est donné rendez-vous à Rennes en cette fin d'été 1992.
Je suis accueilli par une dame aux énormes lunettes. Elle parle doucement en me regardant droit dans les yeux. Je saisis que je vais avoir une chambre simple, pour célibataire, que la salle de bains et la cuisine sont communes et que j'ai droit à un cours de français pour adultes analphabètes trois jours par semaine.
Je suis un peu vexé :
- I have BAC plus five, I am a writer, novelist...
- Aucune importance mon petit, répond la dame. Ici tu commences une nouvelle vie...».
Après avoir déserté l'armée bosniaque, le narrateur se retrouve sans argent ni amis, ne parlant pas le français, dans un foyer pour réfugiés. Dans une langue poétique, pleine de fantaisie et d'humour, Velibor Colic aborde un sujet d'une grande actualité et décrit sans apitoiement la condition des réfugiés, avec une ironie féroce et tendre.
Jmiaa, prostituée de Casablanca, vit seule avec sa fille. Femme au fort caractère et à l'esprit vif, elle n'a pas la langue dans sa poche pour décrire son amoureux Chaiba, brute épaisse et sans parole, ou Halima, sa comparse dépressive qui lit le Coran entre deux clients, ou encore Mouy, sa mère à la moralité implacable qui semble tout ignorer de l'activité de sa fille... Sa vie bascule quand elle rencontre Chadlia, dite « Bouche-de-Cheval », qui veut réaliser son premier film sur la vie d'un quartier populaire de Casa et cherche des actrices. Très vite, Chadlia est séduite par la personnalité détonante de Jmiaa. Mais celle-ci n'est pas facile à manier : bien qu'elle soit totalement inexpérimentée, rien ne l'impressionne et elle a un avis sur tout...
Jmiaa nous offre une peinture haute en couleurs de la vie quotidienne dans un Maroc populaire où chacun fait face aux difficultés à force de vitalité et de débrouillardise.
Ces neuf nouvelles nous placent à la lisière de deux mondes, là où se croisent humains en déroute et animaux semi-sauvages. Chacun tente de rejoindre l'autre, mais l'on ne sait qui, de la bête ou de l'humain, est en quête de protection.
De quel envol blessé la cane Frou-Frou est-elle le signe? Un cheval nommé Mensonge peut-il emporter une enfant loin du monde mensonger des adultes? Comment un rat, un écureuil, un hérisson exorcisent-ils la folie, le deuil ou simplement l'ennui? Que deviendra le nid des fourmis Lin, Clet, Clément, Sixte, Corneille et Cyprien après le passage de joyeux promeneurs? En quoi un chat errant, un papillon sur sa fin sont-ils les messagers de l'amour? Au sommet d'un arbre fragilisé par les bouleversements climatiques, que signale le chant obstiné de Merlin? Autant d'existences menacées, mais libres à leur manière. Autant d'alliances discrètes, toujours sur le qui-vive.
Dans un monde à la lisière du chaos, Caroline Lamarche allie la simplicité narrative à une sauvagerie souterraine pour dire l'interdépendance de toutes les créatures vivantes.
«Comme tous les gamins d'Algérie, je vivais dans la crainte de ne pas être assez bon pour échapper au châtiment du Grand Méchant Allah. À l'école non plus, je n'échappais pas à la question. En classe, nous apprenions l'arabe en récitant le Coran. Pour lire le Coran, il fallait connaître l'arabe et pour connaître l'arabe, le Coran... un cercle arabo-islamo-vicieux. Je n'y entendais bientôt plus rien, ni à l'arabe ni au Coran... alors je recevais des coups de règle sur les doigts parce que je m'étais trompé pendant ma récitation de la sourate qui nous promettait l'enfer, elles nous le promettaient toutes. Je ne sais combien de fois reviennent les mots Djahanem et châtiment dans le Coran, mais c'est impressionnant. Tout le Livre tourne autour de ces deux mots : enfer et damnation».
Ainsi débute le récit d'une libération, celle de l'auteur. Celui-ci finira par rejeter la religion de ses ancêtres, l'islam, se détachera de la nation où il est né et refusera tous les endoctrinements pour trouver refuge dans les livres et la littérature.
Pendant une année de sa vie, Xuân caracole à travers une adolescence qui s'achève en accéléré, sur fond d'ère postcoloniale française et de guerre américaine, dans un pays non nommé qui pourrait être le Vietnam. Ba, son père, est un officier militaire excentrique. Sa mère, Mae, exerce les métiers les plus improbables afin de joindre les deux bouts. Préoccupée par ses seins trop petits, Xuân l'est également par les positions yogiques et politiques de Ba, l'animisme de sa mère, le décompte quotidien des morts de la guerre et le climat urbain explosif. Elle est initiée au sexe par Edgar, un énarque membre des services de renseignement français, et se joint à une bande incontrôlable qui s'adonne aux rodéos à moto dans la ville et à tous les excès : drogue, alcool, sexualité débridée.
Loin du climat nostalgique propre aux réminiscences de la jeunesse enfuie, le ton à la fois caustique et sensuel, très tonique du récit le rend particulièrement attachant. Chez Anna Moï la jeunesse a raison de tout, même des désastres historiques et des tragédies guerrières.
Tristan, le narrateur, a 18 ans. Rien ou presque ne trouve grâce à ses yeux dans le monde d'aujourd'hui. Il est renvoyé de sa classe de Khâgne pour avoir tenté d'incendier le lycée. Il abhorre le monde des arts et des lettres. Sa mère est une snob, son père, écrivain à succès, ne produit que des nullités. Ce jeune homme en colère a des jugements lapidaires sur tout : les livres, les peintures, les filles de son âge.D'où vient cette révolte qui s'exprime dans un langage très savoureux, à la fois cru et raffiné ? On le devine peu à peu : Eurydice, la soeur bien-aimée de Tristan, est morte lors d'un attentat terroriste à Paris. Sous le soliloque radical et rageur affleure le chant d'amour à ce qui est perdu.Salim Bachi sait se renouveler à chaque livre tout en gardant un style qui lui appartient. Ce roman, crépusculaire autant que juvénile, traduit les secousses d'un monde proche de la folie tout en célébrant sa beauté menacée.
Nadia l'attend depuis neuf mois. Neuf mois qu'il a été incarcéré. Elle lui écrit tous les jours, de longues lettres où elle lui raconte ce qu'elle fait, ce qu'elle pense. Elle lui parle comme s'ils se trouvaient encore l'un à côté de l'autre. Jusqu'à quand une jeune femme aussi belle, et indépendante, continuera-t-elle de tenir à lui ? Jusqu'à quand pourra-t-il accepter qu'elle continue?
Le narrateur est un étudiant égyptien à l'âme rebelle, farouchement épris de liberté. Il a été arrêté, avec beaucoup d'autres, au cours de la grande rafle décidée par le Président Nasser, en 1959, contre tous ceux qui s'opposent à son pouvoir autocratique. Le récit entrelace plusieurs temps, celui de la vie quotidienne dans le camp de concentration d'El Fayyoum, en plein désert ;
Celui de l'enfance du narrateur dans un milieu modeste de la province égyptienne ; celui de son éveil à un amour dont la pureté transfigure les épreuves qu'il traverse Sous le patronyme de Mahmoud Hussein sont réunis Bahgat El Nadi et Adel Rifaat, auteurs d'essais novateurs devenus des livres de référence sur l'histoire politique de l'Égypte et, plus récemment, sur l'islam des origines. Ils nous offrent ici un roman inspiré, qui nous captive par la peinture des mentalités et des faits d'une époque rarement évoquée dans la littérature. Leur récit nous rappelle, loin du pessimisme des temps actuels, que pour ceux qui font confiance à leurs rêves, au coeur même de l'adversité, le monde est un matin.
En juin 1883, Charles de Foucauld, futur saint de l'Église, se rend au Maroc, déguisé en rabbin, sous le nom de Joseph Aleman, pour se livrer pendant un an à une minutieuse exploration de ce pays. Cette exploration servira avantageusement la France pour entreprendre la conquête du Maroc.
À la veille de sa mort, Mardochée, celui qui fut le guide du père de Foucauld, se livre à une troublante confession.